La gastronomie française, oeuvre de tant de siècles de raffinement, fait partie du
patrimoine artistique d'une civilisation que le monde moderne s'acharne à détruire.
Résultat d'une longue expérience, d'éssais millénaires qui se sont accumulés et dont nos papilles gustatives et notre odorat ont conservé le souvenir subtil, elle risque de disparaitre ..... Un
de ses attraits est sans conteste l'hommage qu'elle rend à nos vins, boissons remplies du mystère le plus étonnant qu'il soit. Il tire ses qualités de son contact direct avec la terre, il
continue de vivre lorsqu'il l'a quittée et qu'on l'envoie dans le monde, il suit son destin suivant une route magnifique dont rien ne le détourne.
C'est sans doute parce qu'il nous met en rapport intime avec notre sol généreux, accumulateur d'énergie, que nous
aurions tort, nous autres médecins, de ne pas l'utiliser dans notre lutte quotidienne contre la maladie et la mort, de nous priver d'un auxiliaire aussi précieux.
Malheureusement, le développement de l'alcoolisme a donné prétexte à une campagne contre le vin sans que ses détracteurs recherchent, ce qui aurait du être de la plus élémentaire bonne foi, les
causes réelles d'un fléau contre lequel il faut évidemment lutter avec une extrême violence. C'est à la fois contre cette offensive sans cesse renouvelée et aussi parce que nous pensons aider
efficacement la lutte contre l'alcoolisme que nous associons pour clamer... que les enseignements de la science contemporaine et les enseignements de l'observation au cours des siècles sont
d'accord pour démontrer que l'usage du vin à dose modérée est convenable pour l'homme... .
Il ne faut pas confondre usage et abus. Lorsque cette confusion aboutit au prohibitionnisme sous quelque forme que ce soit, elle entraine des catastrophes. Eloigner l'humanité de la consommation modérée de vin, c'est la pousser vers l'usage des poisons et il faut ne pas toujours assimiler le vin et l'alcool.
C'est pourquoi c'est un devoir de simple justice de reconnaitre les erreurs que certains médecins ont commises en proscrivant le vin de l'alimentation et même de la thérapeutique, et c'est un devoir strictement professionnel aussi d'en prendre la défense.
N'oublions donc jamais la place de choix que tient dans notre gastronomie le vin, boisson naturelle, à la fois aliment et reconstituant, source d'énergie et de gaieté. Et comme je le disais lors de notre dernier congrés: "l'austérité ne prolonge pas la vie. Il ne faut jamais démissionner des joies saines, sans compter qu'à priver le moins possible de ses joies l'homme sain ou l'homme malade, on le rattache à la vie, à laquelle il faut bien s'accrocher pour ne pas la quitter"
Professeur Georges PORTMANN, de l'Académie de Médecine, DECEMBRE 1958
Article paru dans la revue LA FRANCE A TABLE de Décembre 1958